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The Words I Don’t Relate to Anymore

Personal photography project, artist book, inspired by Jean-Paul Sartre’s novel Nausea.

Nausea is the impossibility of the nearest and obvious future, lack of will.
Nausea is a denial of the past, depreciated memories, emptiness and oblivion.
The only reality “here and now” remains—and this is a matter of photography.
This book is not just a series of photographs inspired by Sartre's famous novel, but an attempt to create a complete art object, the book, in which images don’t turn into illustrations, and the text doesn’t become captions under the photographs. In the delicate balance between them—the time spent on the streets of several cities, the time spent reading the books, and the hope of escaping from the present.

 

Russian translation: Yuliana Yahnina

English translation: Lloyd Alexander

Photographs, concept, design, and layout: Dmitry Khovanskiy

Edition in Russian, French, and English.

 

Printed in Moscow by Republica.

Pages: 112 pages

Dimensions: 260 × 152 mm

Paper: Munken Pure 150 g/m2

Font: Original Garamond

Binding: sewn hardback

 

The book is published in an edition of 20 numbered copies.

Moscow, 2018.

Épilogue de l'auteur au livre. Traduction du russe Christel Vergeade, Rimma Genkina

 

PRO DOMO

 

« Mais si mon petit chéri lit ce genre de livres à son âge,

qu’est-ce qu’il fera quand il sera grand ? » – « Je les vivrai ! »

Jean-Paul Sartre Les Mots

 

L’été 2018 s’achève. Je marche dans la rue, je prends un livre sur une étagère.

Les livres se côtoient. Les gens se côtoient en marchant. Devant eux, toujours le dos de quelqu’un ; derrière eux, des visages qu’ils ne reverront plus. On voudrait croire qu’on les a vus autrefois, qu’on s’en souvient et qu’à n’importe quel moment on pourrait se représenter un quelconque nez rouge et charnu, dont la respiration bruyante s’apaise et s’estompe à chaque nouveau pas, de fines lèvres roses pâle ou de grands yeux vert d’enfant, apparus furtivement et aussitôt disparus derrière une épaule gauche, le rire de petits talons déjà en retard de plusieurs années. Toujours, le dos des passants demeure, alors que les visages disparaissent dès qu’ils arrivent à votre hauteur. En un clin d’œil ils disparaissent avec une étonnante obstination. La mienne ? La leur ? Tu as beau choisir un autre chemin, tout se répète : les visages et les dos, les tranches et les couvertures des livres, le rire et le bruissement des pages.

Tu t’en prends au mot quand tu désespères de pouvoir t’engouffrer à l’intérieur d’une pénombre particulièrement profonde, à l’intérieur d’une silhouette plate et semi-aveugle par ta faute ; déchirer la doublure de la veste qui s’étalera comme une tâche au beau milieu d’un dos privé de tête, y aventurer la main, dans cette chaleur graisseuse où ne vont pas tarder à s’engouffrer l’humidité, le froid et la pneumonie ; cette obscurité lisse ou rugueuse est parcourue de bosses reproduisant le mouvement des doigts, de haut en bas, vers l’intérieur (c’est ainsi que l’on caresse la tranche d’un livre avant d’essayer de s’en saisir, de l’arracher à la foule compacte des hommes qui pataugent dans la première boue automnale étalée sur les dalles neuves ou anciennes d’une capitale, d’une autre ou d’une troisième). Tu lis les mots avant de réussir à les écrire, et tu les écris avant de les avoir complètement ressentis.

La tranche du 18eme livre sur l’étagère est alignée avec les autres. Qui pourrait dire si cet honorable monsieur, au sourire de comique français, en veste de tweed grise et cravate noire, a bien le droit de se trouver à côté d’un homme à lunettes en reliure bordeaux, qui lit Dyer ou bien Krauss (à moins qu’il ne s’agisse de Calvino ou Eco ? Hesse ou Mann ? Borges ou Cortazar ? Tanizaki ou Kawabata ?..) en édition de poche aux coins traîtreusement cornés toutes les huit ou dix pages ?

Les romans et les nouvelles rient tous de la même chose, alors que les livres aux suffixes en -logie et -tion froncent les sourcils : tandis que le monsieur au sourire de comique français t’enseigne que le futur est inaccessible et le passé impossible, l’essayiste anglais au front dégarni tend un fil entre les deux. Et toi, désemparé, tu restes planté au milieu de la rue en actionnant sans regarder l’obturateur de ton appareil photo.

Les mots ou les photos – il faut les peindre.

Toute la journée d’hier il est tombé une pluie froide formant une sorte d’arche. Sur des milliers de livres, je n’en avais terminé qu’un seul, plusieurs fois retourné, soupesé, mémorisé d’après la légère rugosité de sa couverture et la douce voix de ses pages gonflées. Ainsi, mes jambes trempées à cause des chaussures d’été, et ma veste, ayant été la cible principale de cette averse, pesant sur mes épaules de tout le poids glacial d’un passé qui s’enfuit, furent immortalisées dans une pose photographique censée représenter pour mes descendants le côté fortuit du moment : une main malhabile, une jambe tordue, une langue pendant hors d’une bouche entrouverte, mais surtout la pensée ; des pensées passées et à venir, figées en une fraction de seconde pour se transformer en feuille de papier. La journée de demain sera conforme à ta volonté, même s’il ne cesse pas de pleuvoir. L’étrange Français (au sourire de comique) m’a longtemps assuré qu’il était plus compliqué de se créer un lendemain que de lever le bras pour jeter une pierre dans l’eau ; privé de volonté, désemparé et perdu dans la succession des rues bruyantes de la ville, où la lumière, telles des eaux usées, se déverse sur ta tête depuis les fenêtres et où le bruit est semblable à des clous vrillés dans tes oreilles, ce vieux Français a été contaminé comme son siècle par la psychologie, alors pourquoi je ne commencerais pas moi aussi par ce jeu d’enfant ?

Pouce ! Je suis au milieu, entre hier et aujourd’hui. Je dépasse les passants sans prêter attention à leurs visages, j’écarte les vestes déchirées, les tranches grises des livres, j’écris, je m’obstine, je lis et je photographie, j’ouvre grand les bras, je tourne la page où sont imprimés des mots ; des mots qui ne m’appartiennent plus...

D.Kh.

 

Author's epilogue to the book. Translated from Russian by Olga Perevalova

 

PRO DOMO

 

— But if my little darling reads books of that kind at his age,

what will he do when he grows up?

— I shall live them out.

Jean-Paul Sartre, The Words

 

The summer of 2018 came to its end. I go through the streets, take a book from the shelf.

Books stand shoulder to shoulder. People walk side by side. In front of me there is always someone's back, behind me — faces that are to fade away forever. I'm tempted to believe that I have seen them before, have memorized them and can at any moment bring to mind a fleshy red nose whose heavy breathing tails away with every step of mine, thin rose-pink lips, a silent flash of childish green eyes that quickly vanish to the left, click-clack of tiny heels that are already several years behind me. There are always backs of people passing by, while faces come up and instantly disappear with astonishing stubbornness. Is it mine? Or is it theirs? Wherever I go, there are faces and backs, backs and edges, laughter and rustling pages.

I take a word desperately trying to make my way through a very deep shadow, inside a half-blind figure which seems flat (my fault!). I tear its jacket and a spot of lining spreads across a headless back, my hand dives inside, into a greasy warmth, followed by damp, cold, and disease, — there, a curved smooth or rough blackness wraps my fingers, from top to bottom and inside, — I stroke the book's back and try to capture it, to tear it out of the tight crowds tramping through the first autumn mud over new and shabby tiles of cities. I read words before writing them down, I take them down before feeling them out.

The eighteenth back in a row of others on the shelf — who would guarantee that this respectful gentleman in a gray tweed jacket with black tie smiling like a French comic shouldn't stand next to that pointy head in a maroon cover who reads paperbacks by Dyer or Krauss (Calvino or Eco, Hesse or Mann, Borges or Cortázar, Tanizaki or Kawabata…) with telltale dog-eared corners on every other page? Novels and stories laugh, -ologies and -metries frown — all at one and the same thing, — the gentleman smiling like a French comic teaches me that future is unattainable and past is impossible, while a high-brow English critic draws a thread from one to the other. And I stand all adrift in the midst of the street and release the shutter.

Whether it be words or photographs, — this is worthy of being painted, after all.

Yesterday whirled away over a bow of cold rain. Another book of a thousand was finished, patted and weighed several times, remembered by its slightly rough cover and gentle voice of bulky pages so that summer shoes were long soaked through and a jacket which had caught the brunt of the shower pressed on shoulders numb with cold, frozen in a photographic pose by which the descendants will find out whether the moment was captured 'by chance': an awkward hand, a crooked leg, a hanging tongue, and the essential — a thought, thoughts about the past or future that stuck for a moment and turned into a piece of paper. Tomorrow will dawn by my will, even though the rain won't stop. The strange Frenchman (smiling like a comic) kept telling me that to create one's future is way harder than to bring one's hand up and throw a stone into water, — deprived of his will, confused and lost in a row of loud urban streets where the light from windows is poured on heads like mud and the noise is nailed into ears, the old Frenchman who just like his century caught the bug of psychology, — why don't I also start with this trick or treat thing?

Let me stay in the middle, between yesterday and today. Passers-by are left behind, I don't pay attention to their faces, push aside torn jackets and gray backs, I write, persist, read, photograph, stretch my arms, and turn over the page with the words I don't relate to anymore...

D.Kh.